La double personnalité de Rodolphe - par Lisa Conti

Après le départ de Léon, l'état d'âme d’Emma change à nouveau et elle retourne à sa vie monotone jusqu’à l'arrivée de Rodolphe, un nouveau chapitre de sa vie.

Rodolphe deviendra son amant et Emma tombera amoureuse de lui franchissant la frontière qu’elle n’avait pas franchie avec Léon.

Elle se répétait : J’ai un amant ! un amant ! se délectant à cette idée comme à celle d’une autre puberté qui lui serait survenue. Elle allait donc posséder enfin ces joies de l’amour, cette fièvre du bonheur dont elle avait désespéré.

D’abord Rodolphe se montre complètement amoureux d’Emma, ils passent des journées entières ensemble jusqu’à devenir très intimes:

La journée du lendemain se passa dans une douceur nouvelle. Ils se firent des serments. Elle lui raconta ses tristesses. Rodolphe l’interrompait par ses baisers ; et elle lui demandait, en le contemplant les paupières à demi closes, de l’appeler encore par son nom et de répéter qu’il l’aimait.”

En effet, Pour ne pas être découverts, ils se rencontrent discrètement le soir, à l’insu de tout le village, surtout à l’insu de Charles.

Pendant tout l’hiver, trois ou quatre fois la semaine, à la nuit noire, il arrivait dans le jardin. Emma, tout exprès, avait retiré la clef de la barrière, que Charles crut perdue. Pour l’avertir, Rodolphe jetait contre les persiennes une poignée de sable. Elle se levait en sursaut.

Emma vit enfin l’histoire d’amour dont elle a tant rêvé, oubliant très vite Léon.

Rodolphe avait un grand manteau ; il l’en enveloppait tout entière, et, passant le bras autour de sa taille, il l’entraînait sans parler jusqu’au fond du jardin. C’était sous la tonnelle, sur ce même banc de bâtons pourris où autrefois Léon la regardait si amoureusement, durant les soirs d’été. Elle ne pensait guère à lui maintenant ” 

Il serait étrange de penser que la description initiale de Rodolphe n’est pas sa vraie nature, surtout après que Flaubert nous montre un morceau de son passé comme à vouloir le mettre à nu et en le montrant vulnérable.

Souvent elle lui parlait des cloches du soir ou des voix de la nature ; puis elle l’entretenait de sa mère, à elle, et de sa mère, à lui. Rodolphe l’avait perdue depuis vingt ans. Emma, néanmoins, l’en consolait avec des mièvreries de langage, comme on eût fait à un marmot abandonné, et même lui disait quelquefois, en regardant la lune : – Je suis sûre que là-haut, ensemble, elles approuvent notre amour.”

Mais ensuite Rodolphe se révèle pour ce qu’il est vraiment et ses véritables intentions se révèlent  :

“Rodolphe ayant réussi à conduire l’adultère selon sa fantaisie”

Toute son histoire avec Emma c’est une fantaisie, un objectif personnel, un simple amusement. Rodolphe cache son indifférence envers elle pour qu’elle tombe de plus en plus amoureuse de lui.

Si bien que leur grand amour, où elle vivait plongée, parut se diminuer sous elle, comme l’eau d’un fleuve qui s’absorberait dans son lit, et elle aperçut la vase. Elle n’y voulut pas croire ; elle redoubla de tendresse ; et Rodolphe, de moins en moins, cacha son indifférence.

La situation commence à lui échapper, Emma devient très intrusive et pour Rodolphe devient de plus en plus difficile de cacher son gêne.

Alors Emma pleurait ; elle aurait voulu ne jamais abandonner Rodolphe. Quelque chose de plus fort qu’elle la poussait vers lui, si bien qu’un jour, la voyant survenir à l’improviste, il fronça le visage comme quelqu’un de contrarié. – Qu’as-tu donc ? dit-elle. Souffres-tu ? Parlemoi ! Enfin il déclara, d’un air sérieux, que ses visites devenaient imprudentes et qu’elle se compromettait.

Cependant ces cadeaux l’humiliaient. Il en refusa plusieurs ; elle insista, et Rodolphe finit par obéir, la trouvant tyrannique et trop envahissante.

Rodolphe, le soir, la trouva plus sérieuse que d’habitude. – Cela se passera, jugea-t-il, c’est un caprice. Et il manqua consécutivement à trois rendezvous. Quand il revint, elle se montra froide et presque dédaigneuse. – Ah ! tu perds ton temps, ma mignonne... Et il eut l’air de ne point remarquer ses soupirs mélancoliques, ni le mouchoir qu’elle tirait. C’est alors qu’Emma se repentit !

Rodolphe comprend que leur “histoire” doit se terminer quand Emma commence à mal interpréter la situation et à faire des réflexions sur leur possible fuite :

Rodolphe réfléchit beaucoup à cette histoire de pistolets. Si elle avait parlé sérieusement, cela était fort ridicule, pensait-il, odieux même, car il n’avait, lui, aucune raison de haïr ce bon Charles, n’étant pas ce qui s’appelle dévoré de jalousie ; – et, à ce propos, Emma lui avait fait un grand serment qu’il ne trouvait pas non plus du meilleur goût.

Elle soupira. – Nous irions vivre ailleurs... quelque part... – Tu es folle, vraiment ! dit-il en riant. Est-ce possible ?

Cette histoire entre Emma et Rodolphe nous  montre le rêve d’Emma d’avoir une vie comme celle des héroïnes des romans qu’elle a lus quand était au couvent :

Alors elle se rappela les héroïnes des livres qu’elle avait lus, et la légion lyrique de ces femmes adultères se mit à chanter dans sa mémoire avec des voix de sœurs qui la charmaient. Elle devenait elle-même comme une partie véritable de ces imaginations et réalisait la longue rêverie de sa jeunesse, en se considérant dans ce type d’amoureuse qu’elle avait tant envié.

Mais Flaubert veut souligner surtout la naïveté d’Emma qui se laisse tromper par Rodolphe, un pauvre homme qui veut seulement réaliser sa fantasie.


Par Lisa Conti

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