Le déséquilibre des sentiments - par Arianna Scandurra

Le déséquilibre des sentiments



Emma et Charles Bovary (film de 2014)


Pour Charles, Emma c’est une bouffée d’air frais: un moyen de s’échapper de la vie amorphe et passive qu’il a vécu jusqu’au moment où il l’a rencontrée. Il vivra son mariage dans la conviction que sa femme est heureuse. Mais il se trompe amèrement. Initialement, Emma aussi voyait dans Charles une échappatoire et espérait un nouveau chapitre de sa vie, plus excitant et mouvementé, dans une vraie ville. Mais elle se rendra vite compte que la réalité n’est pas celle qu’elle a lu dans ses romans et que l’homme qu’elle a épousé n’est pas en mesure de lui donner l’amour dont elle a besoin; et le sentiment qu’Emma éprouve envers son mari se transformera bientôt en dégoût.


«Bovary ne se leva pas, Emma non plus ; et, à mesure qu’elle l’envisageait, la monotonie de ce spectacle bannissait peu à peu tout apitoiement de son cœur. Il lui semblait chétif, faible, nul, enfin être un pauvre homme, de toutes les façons. Comment se débarrasser de lui ? Quelle interminable soirée !»



   Henry Lloyd-Hughes dans le rôle de Charles Bovary (film de 2014)


Mia Wasikowska dans le rôle d’Emma Bovary (film de 2014) 

Et même, elle n’arrivera plus à supporter sa présence. Pendant ce temps, la frustration la consume. D’ailleurs, Charles ignore tout : il n’a aucune idée de ce qui se passe dans la tête de sa femme et se limite à l’aimer de la seule manière qu’il connaisse, essayant de lui donner toutes les attentions possibles, de ne pas blesser ses sentiments et de la respecter.


«– Elle crie trop fort, dit-elle en se tournant vers Charles, qui écoutait.
Oui... peut-être... un peu, répliqua-t-il, indécis entre la franchise de son plaisir et le respect qu’il portait aux opinions de sa femme

[...]

«En effet, le sieur Bovary père venait de décéder l’avant-veille, tout à coup, d’une attaque d’apoplexie, au sortir de table ; et, par excès de précaution pour la sensibilité d’Emma, Charles avait prié M. Homais de lui apprendre avec ménagement cette horrible nouvelle


Charles vit une vie conjugale faussement heureuse, son bonheur il croit qu’il est aussi celui d’Emma, tandis qu’elle recherche ailleurs ce que ce pauvre homme ne sait lui assurer. Quand son mari a besoin de son support (comme par exemple, au moment de la mort de son père) Emma se montre froide : bien qu’elle soit physiquement présente, ses pensées sont bien évidemment ailleurs ou alors s’adressent à quelqu’un d’autre.


«Au coup de marteau d’Emma, Charles, qui l’attendait, s’avança les bras ouverts et lui dit avec des larmes dans la voix : – Ah ! ma chère amie... Et il s’inclina doucement pour l’embrasser. Mais, au contact de ses lèvres, le souvenir de l’autre la saisit, et elle se passa la main sur son visage en frissonnant.» [...]

«Emma pensait qu’il y avait quarante-huit heures à peine, ils étaient ensemble, loin du monde, tout en ivresse, et n’ayant pas assez d’yeux pour se contempler [...] mais la présence de la belle-mère et du mari la gênait. Elle aurait voulu ne rien entendre, ne rien voir, afin de ne pas déranger le recueillement de son amour qui allait se perdant


Bien que le narrateur soit impartial, il n’est pas difficile d’imaginer que la mort par empoisonnement si douloureuse (et romanesque, si l’on veut) d’Emma est une punition que l’auteur du roman, lui—même, a voulu lui donner peut-être pour venger le pauvre Charles, qui n’a jamais cessé de l’aimer. Son amour sincère sera récompensé avec une mort presque parfaite, dans son paisible jardin par une belle journée de soleil.

     – Arianna Scandurra

Commentaires

  1. Enfin, Arianna. Très bien publié. Mets en évidence ton nom (gris, ça ne se voit pas vraiment)

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